AVIS D'EXPERT | Alexandre Boulegue | Publié le 01 Février 2021
AssuranceAlors que les hausses de tarifs des complémentaires santé pour 2021 font déjà polémique, force est de constater que la crise économique et les transformations réglementaires (résiliation infra-annuelle, 100% Santé, obligation de transparence sur les frais de gestion) composent de fait un cocktail potentiellement explosif sur le marché de l’assurance santé. Cela va en effet favoriser les tensions tarifaires alors que la visibilité des acteurs sur l’évolution de leurs futures charges en frais de santé semble très incertaine. Concentrés sur les contrats collectifs, les impacts de la crise sanitaire donneront leur pleine mesure en 2021. L’explosion du chômage aura ainsi un coût conséquent pour les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) tenus de couvrir gratuitement pendant un an les personnes licenciées. Sans oublier la multiplication des impayés et des défaillances d’entreprises. Le recul des soins non liés au Covid-19 et, dans une moindre mesure, l’amélioration de la prise en charge d’actes par l’assurance maladie ont épargné certaines dépenses aux OCAM. Les prestations versées en santé reculeraient de 7% à 25, 7 milliards d’euros en 2020. Sauf que les OCAM devront s’acquitter d’une taxe exceptionnelle (1% du chiffre d’affaires santé en 2020, soit environ 1 milliard d’euros, et 0,5% en 2021) dont le montant définitif peut encore évoluer. Côté charges supplémentaires liées à la crise, les groupes de prévoyance et les mutuelles du Code de la mutualité l’ont respectivement estimé à 1 milliard d’euros et plus de 200 millions d’euros en 2020. La croissance des cotisations en valeur devrait toutefois atteindre 1% en 2020 et en 2021 puis 2% par an en 2022 et 2023. Ce scénario repose sur des revalorisations tarifaires de 3% à 5% en moyenne dans le collectif début 2021, en raison de l’explosion des coûts de portabilité. Les ajustements tarifaires seront aussi d’actualité en santé individuelle, suite à la réforme du 100% Santé mise en place depuis 2019 dans l’optique, le dentaire et l’audioprothèse. Et elles dépendront du niveau de gamme des contrats. Dans un environnement encore incertain et des résultats financiers toujours plombés par la faiblesse des taux d’intérêt, la prudence et l’équilibre des résultats techniques seront donc au programme.
En réalité, la crise n’a fait qu’accentuer les lignes de fracture entre les modèles. Si les effets d’image sont favorables pour les groupes de prévoyance et les mutuelles, les marges de manœuvre financières se trouvent plutôt chez les assureurs et les bancassureurs, en particulier pour leurs clients grands comptes. Centrées sur le marché du collectif, les institutions de prévoyance devraient enregistrer un net recul de leur activité si les périodes de chômage devaient se prolonger durablement dans le privé. Si la montée du chômage épargne les mutuelles, plus largement positionnées sur la santé individuelle, elles devraient rester prudentes en attendant de connaître l’impact du 100% Santé. Leurs coûts pourraient toutefois exploser sur les contrats seniors (en lien avec l’audioprothèse intégralement remboursée à partir de 2021) et les contrats d’entrée de gamme.
Par ailleurs, les obligations renforcées de transparence des opérateurs sur leurs coûts de gestion changent la donne sur le plan tarifaire pour les nouveaux contrats depuis septembre dernier. En santé individuelle - où les différences entre catégories d’acteurs sont les plus flagrantes – cette mesure profitera surtout aux mutuelles mais pénalisera les sociétés d’assurance (en raison des frais de distribution et de communication notamment). Pour autant, la concurrence par les prix et par la baisse des coûts n’apparaît comme une solution satisfaisante pour aucune famille d’opérateur. Pour s’extraire des pressions déflationnistes et se différencier, miser sur le service, la relation et l’accès aux soins dans toutes les dimensions (financière, géographique, numérique) semble bien plus pertinent. Dans ce contexte, renforcer les articulations entre assurance santé et activités connexes est une piste à creuser. De nouvelles offres en santé ou prévoyance collective intègrent ainsi depuis peu des garanties associées à des risques de maladies spécifiques (Aésio Santé Pro, Protection maladies redoutées de Klesia et Ocirp, Prévoyance Entreprise de La Mutuelle Générale, Generali Covid Protection Salariés).
La crise a également eu pour mérite d’accélérer brutalement la diffusion des usages numériques dans la santé. Cela constitue une véritable aubaine pour les organismes complémentaires, qui avaient déjà pris les devants avec de nouveaux services, nouveaux parcours de soins de santé, une refonte des relations avec les professionnels de santé ou encore des partenariats avec des start-up… En réalité, la mise en place du 100% Santé n’a fait qu’accélérer le mouvement, obligeant les opérateurs et leurs plateformes à revoir leurs stratégies vis-à-vis des professionnels de santé. Les rapports de forces ont été rééquilibrés. En septembre 2020, Santéclair et VYV ont presque simultanément lancé de nouveaux services de téléconsultation en centre auditif. La montée en puissance de la prévention santé au sein des entreprises va en outre servir d’appui à l’essor de services développés pour le compte de ces dernières.
Sur un tout autre plan, la crise et l’autorisation de résiliation infra-annuelle offrent en théorie un environnement propice au développement des AssurTech en assurance santé. Mais les barrières à l’entrée sont encore conséquentes. Métier complexe, l’assurance santé est en effet perturbée par d’incessants changements réglementaires. L’échec du pionnier Alan en individuel en fournit l’illustration.
Réforme de la PSC, envolée des prix, mobilité accrue des assurés : quelles stratégies d’adaptation pour les complémentaires santé ?
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